Éditorial

Alain Bouldoires

Maître de conférences

IUT Bordeaux Montaigne

*****

Aux origines des innovations sociales

Les Grecs ont inventé la démocratie, une innovation sociale et politique majeure.

Les assurances sociales, les associations, les syndicats, les mutuelles, les coopératives furent en leur temps des innovations sociales dont certaines se sont institutionnalisées (comme la Sécurité sociale, les congés payés).

Aujourd’hui, l’idée d’innovations sociales est associée à toutes les initiatives militantes visant à promouvoir des formes de production, de consommation ou d’entraide fondées sur le partage. L’innovation sociale est le règne du « co » : colocation, covoiturage, coworking, crowdfunding (participatif ou communautaire)

L’individu connecté

Se trouvant eux-mêmes dans une situation d’innovation sociale, des innovateurs ont développé la micro-informatique et Internet, dans les années 1970 aux États-Unis.

Ils ont conçu des dispositifs de communication adaptés à de nouvelles pratiques sociales et à de nouvelles représentations de la société.

Qu’est-ce qu’une innovation sociale?

Le mariage pour tous, la colocation, les Amap sont aussi des innovations sociales et institutionnelles. Comme ce fut le cas, en leur temps, pour les coopératives, les syndicats, les partis, les soviets, les kibboutz, la société par action, le football, les mafias, les villes franches, les sectes, les empires.

Un laboratoire des solidarités de demain

Les initiatives qui composent l’innovation sociale forment une nébuleuse aux frontières floues, mais qui ne cessent de grappiller du terrain à mesure que l’État providence décline.

Ces initiatives répondent à des attentes sociales mal ou non satisfaites.

Les piliers de l’innovation sociale

Dans un chapitre dédié à l’innovation sociale, la loi-cadre de l’ESS du 31 juillet 2014  stipule que tous les projets visant à

« répondre à des besoins sociaux non ou mal satisfaits (ou à) répondre à des besoins sociaux par une forme innovante de production de biens ou de services ou encore par un mode innovant d’organisation du travail »

relèvent de cette forme d’entreprendre spécifique.

L’Agence d’ingénierie et de service pour entreprendre autrement (Avise), qui rassemble des entreprises, réseaux et acteurs de l’ESS, a établi dès 2011 une grille de critères relative à l’innovation sociale qui s’articule autour de quatre pôles :

  • « réponse à un besoin social mal satisfait »,
  • « génération d’autres effets positifs »,
  • « expérimentation et prise de risque »
  • « implication des acteurs concernés ».

L’« implication des acteurs et publics concernés » assure l’assise locale et la participation citoyenne de l’innovation sociale.

Exemples

L’essor des Amap est l’un des exemples les plus emblématiques du mouvement de l’innovation.

La crèche Plif Plaf Plouf de Marseille organise presque quotidiennement des échanges entre les enfants et les personnes âgées qui résident dans une maison de retraite voisine. Ces rencontres permettent de « rompre avec l’isolement » des aînés et de « développer une sociabilité » chez les plus jeunes.

Les circuits courts : En remettant l’humain au centre de l’alimentation, les circuits courts favorisent des systèmes alimentaires plus durables et plus résilients.

Vivre et vieillir en colocation : Habitat inclusif ou les personnes en perte d’autonomie vivent en colocation, avec l’appui d’un personnel qualifié.

En Hollande, un nouveau concept de café a, par exemple, vu le jour en 2009 : chacun peut y apporter ses objets cassés, et est gratuitement conseillé par des experts en bricolage pour les réparer.

Il existe aujourd’hui une trentaine de Repair’Café en France. https://www.repaircafe.org/fr/

Les Paniers de la mer, installés en Bretagne dès 1997, récupèrent sur les ports les poissons invendus qui sont ensuite conditionnés par des salariés en insertion et redistribués à des associations d’aide alimentaire.

Face à la diminution de nombre de lits en hôpital psychiatrique, des psychiatres ont décidé de créer leurs propres structures d’accueil.

Valoriser les innovations sociales

Redonner place à la créativité dans les collectivités et faire des citoyens des coconcepteurs des politiques publiques : tels sont les objectifs des laboratoires d’innovation publique.

L’innovation sociale : palliatif de l’action publique ?

La création de « mutuelles de village » est également symptomatique de la reprise en main de l’action publique par la société civile.

Cette idée, pas si nouvelle, avait disparu avec la montée du salariat. La grande pauvreté et les coupes de budget dans la Sécu la remettent au goût du jour.

Pour 47 euros, quel que soit leur âge, près de 300 habitants de la commune Caumont-sur-Durance (4 600 habitants, Vaucluse) ont pu y adhérer. On pourrait dès lors croire que cette mutuelle hyperlocale traduit une forme de réminiscence des sociétés d’entraide du 19e siècle.

Anna Benjamin et Elsa Sabado, Les mutuelles de village, une innovation sociale ou un retour au 19e siècle ? », Slate (http://www.slate.fr/story/94993/mutuelles-village-innovation-sociale).

Une vaste nébuleuse

On l’aura compris : l’innovation sociale ne catégorise pas un type d’activité en particulier, mais plutôt une nébuleuse de « révolutions tranquilles », pour reprendre l’expression de la journaliste Bénédicte Manier

  • Bénédicte Manier, Un million de révolutions tranquilles. Travail, argent, habitat, santé, environnement : tout ce que les citoyens changent dans le monde , Les liens qui libèrent, 2012.

L’innovation sociale est donc le lieu d’une hybridation entre préoccupations économiques, relations avec les pouvoirs publics et utilité sociale.

Une solution pour l’Afrique ?

L’économiste Kako Nubukpo parle des « communs au cœur d’une dynamique du développement », des innovations sociales spontanées venues du bas telles que les ressources éducatives libres en ligne, des circuits courts contre la « révolution verte » (qui accroît la dépendance agricole vis-à-vis des marchés mondiaux) ou la mise en place de services publics de première nécessité.

  • Kako Nubukpo, Une solution pour l’Afrique. Du néoprotectionnisme aux biens communs, Odile Jacob, 2023.

Un centre de recherche

Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), université du Québec, Montréal. www.crises.uqam.ca

Penser l’innovation sociale

L’innovation sociale est souvent étudiée par ses promoteurs, comme Juan-Luis Klein et Denis Harrisson (L’Innovation sociale. Émergence et effets sur la transformation des sociétés, Presses de l’université du Québec, 2007) et Jean-Louis Laville (L’Innovation sociale, Érès, 2014).

Le Panorama de l’innovation sociale (Thierry Germain, François Bourin, 2005) constitue également un bon panorama des initiatives.

Pour un regard plus distancié : L’Économie sociale et solidaire : de l’utopie aux pratiques (Matthieu Hély et Pascale Moulévier, La Dispute, 2013) et La Nouvelle Alternative. Enquête sur l’économie sociale et solidaire (Philippe Frémeaux, 3e éd., Les Petits Matins, 2012).

Et si demain on changeait tout ?

S’il existe des solutions concrètes à la pauvreté, à l’injustice, aux inégalités et au manque de démocratie, pourquoi ne pas les prendre un peu plus au sérieux ?

Deux auteurs rendent compte d’innovations sociales dont, à condition d’y porter attention, on a trop souvent tendance à sous-estimer l’intérêt et la portée émancipatrice.

  • Rutger Bregman, Utopies réalistes, Seuil, 2017.
  • Erik Olin Wright, Utopies réelles, La Découverte, 2017.